I.
WHITE CORES explore la place du blanc dans la culture visuelle occidentale, à partir d’un travail collaboratif mené avec des étudiants de l’Université de Louvain-la-Neuve. Le projet prend pour point de départ un fait historique souvent méconnu : le blanchiment progressif de l’art grec, dont les sculptures antiques étaient à l’origine abondamment peintes, parées de couleurs vives, presque « pop » — un fait désormais bien documenté, notamment par les travaux de Philippe Jockey.
Dans son ouvrage Le Mythe de la Grèce blanche (2019), Jockey démontre comment cette vision épurée et monochrome de l’Antiquité s’est construite au fil des siècles, en grande partie à partir des moulages en plâtre produits à l’époque romaine et largement diffusés en Europe dès le XIXe siècle. Ces copies, volontairement laissées blanches ou décolorées par le temps, ont imposé une esthétique idéalisée du « blanc antique », érigée en canon de beauté classique. Ce glissement visuel a profondément influencé la représentation du corps, de la civilisation, et la hiérarchisation des cultures dans l’histoire de l’art occidental.
C’est pourquoi des images prises dans la galerie des moulages du musée L de Louvain-la-Neuve sont présentées dans cette exposition : elles incarnent cette persistance du blanc comme norme esthétique dans la transmission du patrimoine antique, tout en rappelant la dimension artificielle et construite de cette blanchisation.
II.
Les images imprimées sur ces carottages de plâtre — sortes de colonnes étroites et fragmentées — ont été collectées par les étudiantes à partir du concept de blancheur. Après un premier travail d’archivage visuel, Hélène Bellenger a opéré un recentrage de la sélection, privilégiant les représentations du corps à travers les siècles, afin d’explorer comment certaines images s’imposent comme normes esthétiques et culturelles.
La disposition des carottages crée un jeu de rebonds entre les images, où chaque fragment entre en résonance avec les autres, produisant un réseau de correspondances visuelles et symboliques. À l’image de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, où les images s’enchaînent par association plutôt que par narration linéaire, WHITE CORES construit une cartographie sensible de la mémoire culturelle, fragmentée et polyphonique.
Cette accumulation fragmentaire évoque une forme de ruine : les contours s’effacent, les significations se délient. Le blanc n’est plus simplement une couleur, mais une surface d’effacement, un vecteur d’oubli. Le projet questionne non seulement ce que les images transmettent, mais aussi ce qu’elles occultent — la manière dont certains récits, pourtant idéologiquement chargés, s’imposent comme neutres, universels, alors qu’ils sont le produit de choix esthétiques, culturels et politiques.
Entre archive et sculpture,WHITE CORES propose ainsi une lecture matérielle et sensible des processus de sélection, de simplification et de neutralisation à l’œuvre dans la construction visuelle de l’histoire. L’installation invite à une réflexion sur la mémoire, le temps, et les formes d’érosion — physiques et symboliques — qui traversent nos représentations.
Dans la culture visuelle occidentale, le blanc, omniprésent, échappe souvent au regard : il ne se montre plus, il s’impose. Devenu fond, norme, évidence silencieuse, il agit depuis cette invisibilité. C’est à partir de cette disparition apparente que WHITE CORESinterroge les structures visuelles dominantes, et la manière dont certaines formes de pouvoir se perpétuent en se rendant indiscutables.