“ (…) L’iconographie que j’observe se déployer dans la recherche menée par Hélène Bellenger soumet à réflexion sur les images et leur facticité. Saturation, flux, logique attractive. Ces petites pilules blanches sur fond de soleils naïfs et faux, de sourires forcés/retrouvés sont pleines d’étrangeté. C’est comme une météorologie qui se déploie. Une attention est portée à la gamme chromatique de ces images, qui forme comme leur environnement et fait s’ouvrir nos yeux sur ce qu’elles suggèrent en sous-main. Les lectures que m’a partagées l’artiste permettent également de mettre à jour toute l’entreprise normative qui agit sur nos humeurs. Que cela soit par le biais des médicaments mais aussi par la manière dont on communique sur soi aujourd’hui. Et sur cette injonction au bonheur (identifiée comme « happycratie ») que l’on retrouve notamment dans un certain format d’images déversées en masse sur les réseaux sociaux. (…) ”
Hélène Soumaré - extrait de l'article "Plaisir Solide", Revue Point Contemporain #16, 16 juin 2020
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“ Le travail d’Hélène Bellenger s’attache principalement aux soubassements politiques et culturels de la culture visuelle occidentale. Sa pratique photographique traite d’une part de la représentation du paysage (Placebo Landscape), et d’une autre de la femme (Right Colors), deux sujets que rien ne semble lier. Néanmoins ils subissent la même artialisation, les peintres nous invitent au paysage, en l’inventant, en le reproduisant ou en révélant sa valeur, comme les romantiques avec la montagne, qui ont enfin donné à la mer une rivale. Il en est de même pour la figure féminine. La femme et le paysage subissent les mêmes traitements, une présence incontestable dans l’histoire de l’art où leurs représentations ne se comptent plus. La femme peinte, muse, décorée, subit à son tour l’invention de l’art qui transforme notre regard. L’artialisation s’applique tout d’abord au paysage, mais pourquoi ne pas l’élargir aux divers sujets de notre regard ? Les modèles ne sont plus le paysage ou la femme, c’est l’art qui devient modèle de la nature. C’est alors que les deux sujets représentés sont artialisés. Hélène Bellenger s’est longuement questionnée sur le lien entre ces deux sujets. Pourquoi mettait-elle autant de ferveur à traiter deux choses ; le portrait et le paysage, qui semblent être deux genres bien distincts dans l’histoire de l’art ?
Hélène Bellenger s’intéresse explicitement au conditionnement de la culture visuelle. Déconstruire l’artialisation et la déréalisation de la femme et du paysage, tous deux fantasmés, sont finalement complémentaires. Elle travaille essentiellement à partir d’archives, de photographies préexistantes, dans le registre commercial ; cartes postales, publicités, images commercialisées et objets touristiques. Une iconographie riche qui véhicule l’image d’un idéal vers laquelle nous nous projetons, qui crée en nous des envies, des concepts, des normes, des représentations qui ne s’arrêtent pas au sujet par lequel le regardeur est happé, mais qui insidieusement vivent en nous, régissent nos choix de vie. L’image produit des projections et s’immisce dans nos inconscients.
La construction culturelle du regard fait de tout sujet un réceptacle à projections. Par ces images d’archives magnifiant la femme et le paysage, en déconstruisant l’artialisation, elle provoque leur déréalisation, elle tente de s’extraire de la représentation pour aller vers la présentation. Suite à cette rencontre, j’ai eu le plaisir de m’entretenir longuement avec elle, notamment de son statut, est-elle plasticienne, photographe, ou artiste iconographe ? Puis, nous avons évoqué ce nouveau projet, La Coulure. Rares sont les performances photographiques. Le cliché étant traditionnellement présenté tiré, le spectateur n’a plus que son imaginaire et ses connaissances pour tenter de comprendre son décor, sa technique, et saisir son aura. Ici, elle livre le processus photographique de ces carrés bleus. Même si cette œuvre s’extrait de toute archive, le prélèvement demeure. La Coulure rallie ses deux sujets ; le paysage et la femme. La femme photographe, exploratrice, chercheuse, archéologue, qui prélève le paysage. Le sujet paysage devient alors décor et matériau de l’œuvre. Révélatrice d’un environnement en plein changement, voire en pleine disparition, elle en entreprend l’archéologie.
Suite à une invitation en résidence dans un refuge de haute montagne, avec L’Envers des Pentes, ce projet naît d’un constat alarmant. Déjà présente depuis quelques jours au Parc National des Écrins, le gardien du refuge lui propose de monter jusqu’au glacier. Lorsque après une heure de marche ils arrivent au glacier de la Selle, le gardien pousse un cri d'alerte devant le lac présent au pied du glacier et qui n’existait pas il y a à peine un an. Il parut alors évident à Hélène de travailler à partir de cet espace en voie de disparition. La photographe plasticienne décide alors de commencer un travail de collecte à la fois exhaustif et irréalisable : celui d’une archéologie des traces de fonte laissées par le glacier de la Selle. Son projet relève de l’infini. Après une matinée à gravir le glacier, elle viendra relever les empreintes chaque jour, une semaine durant. Elle en retient ses dernières traces.
La photographe découpe alors son papier de jour, au format 30 par 30 cm, afin de former une typologie photographique de cette fonte. Pour protéger l’émulsion de la lumière UV, elle cyanotype de nuit parée d’une lampe frontale. Elle enduit son papier du mélange chimique afin de le laisser sécher toute la nuit sur un fil à linge qu’elle récupère chaque jour avant le lever du soleil. Une fois ses matériaux préparés, elle gravissait chaque matin le glacier du Parc National des Écrins afin de faire fondre ses morceaux de glace sur les papiers préalablement cyanotypés. Durant plusieurs jours, elle réitéra l’expérience afin de constituer le début d’une collection archéologique absurde. Une grande grille de format carré prend forme au fur et à mesure de ses récoltes. Elle avait alors imaginé le résultat final mais pas les coulées bleues - d’où le titre de son œuvre qui révèle l’imprévisible qui l’a frappé. Ses photographies pourraient se cristalliser sous forme de photos esthétiques mais Hélène Bellenger a fait le choix de recréer l’expérience au-delà de sa narration. Dans ce projet, le récit et le processus prévalent sur la résultante. L’artiste souhaitait cette mise en valeur du protocole de création sous la forme d’une performance photographique et ramène ainsi la magie du glacier dans le lieu d’exposition. Offrir à tous l’expérience.
Dans sa pratique artistique consacrée à la collecte, à l’archive et au détournement d’images, Hélène passe le plus clair de son temps sur son ordinateur. Ce projet, bien différent, active son corps tout entier, dans un rapport à la temporalité au plus proche du réel. Il faut chaque jour guetter l’heure du lever et du coucher du soleil qui régit ses actes. La Coulure fait foi d’un rapport au corps et au temps gouverné par un rythme et des cycles. La lumière est toujours déterminante dans la photographie, mais lorsqu’on se confronte à une technique ancienne, la lenteur des tirages ramène au rythme naturel. C’est un moment suspendu dans sa pratique, mais qui rejoint ses sujets de recherches.
Au Centquatre, vêtue de son habit de scène, un décor l’entourait. Tout d’abord une photographie de son expérience sur le glacier, comme miroir de ses gestes. Munie d’une planche sur laquelle elle déposait ses productions, un dispositif maison avec des lumières UV sous lequel 3 rectangles étaient apposés au sol, légèrement inclinés, rappelant 3 stoppages étalon (1913) de Marcel Duchamp. Sur ces rectangles, elle déposait des cyanotypes et les morceaux de glace pour recréer cette expérience face au spectateur. Il y avait aussi deux bacs de rinçage et surtout un stock de glace provenant tout droit de la Mer de Glace, que le glaciologue Luc Moreau l’a aidé à récolter en janvier 2020. Ce rapport à la série confrontée à l’originalité de l’œuvre, rappelle le travail d’Allan McCollum qui produit des pièces en grande quantité, mais toutes uniques, afin d’explorer le rôle et le sens des objets dans le contexte de la production de masse. Cette grille finale apposée sur une planche au fur et à mesure des tirages, constitue une grande typologie photographique à la Becher, ce couple de photographes allemands qui avait pour particularité de toujours photographier des bâtiments industriels avec la même lumière, le même cadrage frontal et la même technique, de façon à créer des typologies de ces constructions qui mettent en valeur leurs points communs et leurs différences.
Sous l’effet des rayons UV, cette récolte de l’infini résonne avec le principe du prélèvement. Cette archéologie absurde rend visible une pratique artistique continuellement en cours avec l’ouverture du laboratoire de l’artiste dans l’espace d’exposition. Hélène magnifie la disparition. Elle décide de nous révéler le processus de cette expérience étonnante et fructueuse. La photographe expose la cause comme un moyen. Ce soleil qui transforme le glacier en lac. Elle utilise le destructeur comme révélateur photographique. Le réchauffement climatique cause la disparition de la Mer de Glace, elle choisit alors d’activer un processus qui gardera son empreinte. Cette archéologie absurde transforme ce qui peut être destructeur en révélateur de sa propre empreinte. ”
Marine Lemaire - Confinée dans un refuge, L’insatiable magazine, 15 avril 2020
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“ Evoquer un sujet d’actualité en utilisant des images d’archives ? C’est le pari réussi de la série Les corps dociles d’Hélène Bellenger. A l’heure de l’affaire Weinstein et des #metoo, les visages tristement burlesques des images de la jeune photographe se dotent d’une aura embarrassante. C’est au cours d’un minutieux travail de recherche dans les archives de la Cinémathèque de Toulouse - dans le cadre de la Résidence 1+2 Factory - qu’Hélène Bellenger élabore ce projet sur les constructions archétypales de la représentation de la femme dans le cinéma des années 1920 - 1950.
Marilyn Monroe, Rita Hayworth, Greta Garbo, Grace Kelly, Marlene Dietrich… On a tous en tête les poses glamour et les regards sulfureux de ces immortelles du grand écran. Mais derrière l’artifice, il y a les coulisses. Le regard d’un homme, des contraintes techniques, des enjeux commerciaux. Autant d’éléments que décortique la jeune artiste au travers d’installations originales. Elle nous dévoile ainsi comment ces images ont contribué à véhiculer et à maintenir un stéréotype de la femme - belle et docile en toutes circonstances - dans la culture visuelle contemporaine. Les années 1920 - 1950 constituent les années phares du Star System américain et marque un tournant dans la représentation du corps féminin. La croissance fulgurante du cinéma hollywoodien au cours des années 1930 permet en effet de produire plus de films et de les diffuser à plus grande échelle. Une nouvelle culture visuelle se déploie et avec elle, une image de la femme idéalisée et standardisée.
Sur fond blanc, des bobines aux couleurs chatoyantes et aux titres évocateurs : “Les bonnes femmes”, “Belles de jour”, “Folies de femmes”, “Une affaire de femmes”... La grande sobriété des images contraste avec la trivialité des titres misogynes. En analysant le champs sémantique et visuel des films de cette époque, Hélène Bellenger tente de déconstruire l’archétype de la femme glamour en mettant en évidence le caractère absurde et caricaturale des canons de beauté. C’est ainsi qu’elle découvre que le spectre colorimétrique et peu nuancé des caméras de l’époque obligeait les actrices à être maquillées de manière outrancière afin d’accentuer leur expressivité. « Reprenant les recettes de l'époque, signées Max Factor, j'ai redonné des couleurs à ces clowns tristes, également appelés miss peinturlures » explique l’artiste. Paupières bleues, lèvres pourpres, pommettes vertes, elle a ramené à la surface les maquillages invisibles aux écrans de l’époque et crée des portraits clownesques et dérangeants.
Mais la photographe pousse plus loin la relation entre corps et technique. Le fantasme de la femme-objet est amené à son paroxysme par la création d’objets de décoration. Si la femme peut être au coeur des intrigues de certains films de cette époque, elle n’en demeure pas moins un objet : de désir, de convoitise, d’ornement. Un argument commercial pour convaincre les producteurs et remplir les salles de cinémas.
En bonne artiste-iconographe, Hélène Bellenger a collecté et scanné des images de la revue Cinémonde des années 1920 - 1950 pour produire des tapisseries et des nuanciers aux motifs improbables. Entre ballet de jambes et défilé de bouches, l’artiste amplifie la logique de standardisation. Le détournement d’objets familiers et quotidiens accentue la dimension absurdes des stéréotypes féminins et nous invite à questionner les soubassements culturels de nos imaginaires collectifs.”
Coline Olsina, Hélène Bellenger : Corps artificiels, The Blind magazine, 22 février 2019
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“Menton bleu, blanc dans le cou et sur les fossettes, joues rouges, nez jaune ou lèvres vertes : dans le projet Right Color d’Hélène Bellenger, les couleurs dignes de soirées disco contrastent avec les portraits noir et blanc de femmes des années 20 à 50 sur lesquelles elles sont apposées, entourant et renforçant les traits de ces visages sages.
La dissonance est presque grossière, complètement clownesque et, surtout, saisissante ; sous le prisme de notre présent, on imagine peu les couleurs de ces époques passées, telle les voix des plus célèbres actrices du cinéma muet. Car ces aplats de couleurs vives et parfois pailletées ne sont pas disséminées par hasard mais sont au contraire le fruit des recherches d’Hélène Bellenger dans les archives de la cinémathèque de Toulouse, où elle découvre notamment le magazine Cinémonde : « Pendant une résidence de six semaines, avec la Résidence 1+2 Factory, j’ai feuilleté, collecté et sélectionné des images dans ce magazine, j’y ai repéré des choses qui m’interpellent : les femmes sont associées à de la décoration ou même à des animaux », explique-t-elle. Une vision des femmes où ces dernières sont considérées comme des objets esthétiques, une sorte de matériau à façonner, améliorer. Les couleurs sont ici ce qu’a pu être, par exemple, le corset : une manière de dessiner, renforcer et tirer des traits, de littéralement sculpter, d’aller au-delà des particularités physiques féminines qui sont toujours « trop » ou « pas assez », en tout cas difficilement et rarement laissées au naturel.
Au cours de ses recherches, l’artiste note par ailleurs l’arrivée de la minceur comme norme esthétique, dont on connaît dorénavant l’évolution et les déboires… Sous la robe, le corset ; et derrière l’écran noir et blanc, des couleurs vives et variées que l’artiste utilise ici pour « ramener à la surface de l’image les coulisses du cinéma », des dessous cachés dont on n’a pas forcément idée, en particulier pour cette époque dans laquelle le logiciel Photoshop ne module pas encore l’environnement visuel qui nous entoure. La photographe opère alors un double travail d’archiviste et de plasticienne en appliquant sur les images trouvées les recettes de Max Factor, industrie spécialisée dans le maquillage de cinéma et télévision, pour recolorer les visages de ces « miss peinturlures » comme on les nomme. Les images-visages deviennent des palimpsestes où la première couche est montrée au premier plan. Le rideau tombe et dévoile sur le devant de la scène une nouvelle lecture, étonnante et dissonante, criante. Les critères de beauté deviennent ridiculement risibles sur ces portraits de clowns tristes aux expressions additionnées. Hélène Bellenger donne la possibilité aux publics de ramener des posters avec recettes de maquillage et images d’archives chez soi, l’occasion de prendre le temps de s’approprier cette œuvre et de réfléchir aux rapports d’une certaine société vis-à-vis des femmes, au fil des siècles, des années.”
Laëtitia Toulout - Hélène Bellenger, femmes clownesques, The Steidz magazine, 31 février 2019
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“ Le travail d'Hélène Bellenger aborde la notion du paysage d’une manière surprenante, par le prisme de sa dimension commerciale. Le paysage qui est aussi une notion personnelle devient l’occasion de procéder à une observation des nombreux, voire contradictoires énonciations, fictions et fantasmes que de tels lieux évoquent. Ces lieux, devenu des lieux communs, sont les motifs de ses œuvres : coucher de soleil, aurores boréales, forêts ou montagnes…
Dans la lignée de Felix Gonzalez-Torres, Hélène Bellenger procède parfois à la dispersion et en même temps, semble traiter l’image comme un objet proche, intime, et ludique. C’est là une des possibilités et une des fonctions de la reproductibilité technique si l’on se réfère à Walter Benjamin, elle permet surtout de rapprocher l’œuvre du récepteur. ”
Texte de Chiara Parisi, extrait du catalogue d'exposition du 62e Salon de Montrouge, 2017.
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“ Commencé en 2014, la série Placebo Landscape de Bellenger, récemment diplômée de l’école d’Arles, comprend des photographies de produits de consommation courante (un paquet de mouchoirs, une boîte de cotons-tiges...) dont la trivialité tranche avec l’idéalisation du paysage qui les orne. Sans titre (posters), 2016, est composé de posters de paysages commandés sur internet avec le mot-de-clé “sunset”, maintenus et roulés pour souligner leur nature et disposés de façon à évoquer l’une de ces images stéréotypées de coucher de soleil. Bellenger pointe ainsi le consumérisme paysager et sa conséquence: la déréalisation du paysage qui selon ses mots: “autonomise le motif de son référent premier .”
Etienne Hatt - Extrait de l’article, GoogleEscapes, le paysage à l’ère post-photographique, Art Press n°440, janvier 2017.